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Avis sur la demande de mesures de régulation de marché de la société Les Bois du Nord (2020-A-02 du 31 mars 2020)

Bois du nord

En Nouvelle-Calédonie, le marché de l'approvisionnement en bois (scié ou raboté) est dominé à 80 % par les importations, les producteurs locaux de bois ayant une faible part de marché structurellement inférieure à 20 % en raison de la taille réduite des forêts exploitables et du coût de production élevé du bois local.

Il existe quatre scieries mais la seule à produire du bois scié structurel à partir du pin des caraïbes présent sur le plateau de Tango en Province Nord est la société Les Bois du Nord, créée en 2016, dont l'actionnaire principal est la SAEM Nord Avenir. Cette société, jusqu'alors totalement intégrée verticalement depuis la production de bois jusqu'à la commercialisation et la construction de maisons en bois, connaît des difficultés économiques et financières importantes qui l'ont conduite à demander la mise en place d'un plan de sauvegarde et à se séparer de son activité aval de construction et d'une partie de ses salariés en 2020. 

Alors qu'il existe actuellement un contingent global de 19 000 m3 sur 12 tarifs douaniers relatifs à diverses essences de bois, la société Les Bois du Nord demande l'introduction d'une taxe de régulation de marché (TRM) de 15 % sur 4 tarifs douaniers (TD 4407.11) visant spécifiquement le pin Radiata et les autres pins rabotés ou non (principalement le pin Sylvestre) qui sont des bois sciés de structure utilisés pour les charpentes et ossatures de murs porteurs, pour renforcer la compétitivité du pin des caraïbes produit localement par rapport à ces bois importés concurrents dont le prix de revient est beaucoup moins cher. Cette mesure de régulation de marché s'ajouterait au contingent global de 19000 m3.

Dans son avis, l’Autorité est défavorable au cumul d’une protection quantitative et d’une barrière tarifaire (TRM) et propose au gouvernement de supprimer le contingent global de 19 000 m3 inefficace (car il n'est pas entièrement consommé depuis plusieurs années) et facteur de renchérissement des prix de vente de nombreuses essences de bois non produites localement. En revanche, l’Autorité considère que l’introduction d’une TRM de 15 % sur les 4 tarifs douaniers déclinés au TD. 4407.11 visant les bois sciés de structure directement concurrent du pin des caraïbes local, pourrait être envisagée sous réserve du renforcement des engagements proposés par la société Les Bois du Nord.

L’Autorité considère en effet que cette mesure tarifaire n’aura pas pour effet de placer la société Les Bois du Nord, ni aucun producteur local de bois, en position dominante sur le marché de l’approvisionnement en bois scié en Nouvelle-Calédonie et ne devrait pas non plus modifier la structure de la concurrence sur ce marché dès lors qu’elle ne conduira pas à la disparition de concurrents locaux ou d’importateurs.  Elle pourrait, en revanche, favoriser l’écoulement du bois scié structurel local en lui permettant de devenir plus compétitif par rapport aux produits importés concurrents conformément à l’objectif visé par l’article Lp. 410-2 du code de commerce. Elle pourrait également contribuer au progrès économique en Nouvelle-Calédonie tant sur le plan environnemental que sur le plan du maintien d’emplois locaux en zone reculée, contribuant ainsi au rééquilibrage économique.

L’Autorité estime, contrairement aux acteurs du marché interrogés, que cette mesure tarifaire qui renchérira mécaniquement le prix de revient des pins radiata et sylvestre rabotés ou non ne devrait pas conduire, pour autant, à une augmentation majeure des prix de vente hors taxe pratiqués auprès des professionnels de la construction et des consommateurs. En effet, le niveau moyen de marge brute pratiqué par les importateurs-distributeurs actuellement (de 46 à 90 %) leur permettrait d’absorber tout ou partie de cette nouvelle taxe. En tout état de cause, même à considérer que les importateurs-distributeurs répercutent tous la totalité du surcoût engendré par la TRM sur leur prix de vente au charpentier, qui lui-même la répercuterait au maître d’ouvrage, le surcoût résultant de la TRM demandée sur une construction en bois estimée en moyenne à 17 millions de francs serait inférieur à 1 %. 

En outre, il résulte des projections réalisées par l’Autorité que, même après l’introduction d’une TRM de 15 %, les prix de revient des bois structurels importés resteraient toujours inférieurs au prix de revient de la société Les Bois du Nord bien que s’en rapprochant sensiblement. Dans l’hypothèse où les importateurs-distributeurs absorberaient la totalité de l’augmentation du prix de revient en pratiquant les mêmes prix de vente que ceux constatés en août 2019, la marge moyenne qu’il réaliserait serait réduite de 23 % sur les pins rabotés vendus aux particuliers et de 35 à 38 % sur les pins rabotés vendus aux professionnels. Les importateurs-distributeurs continueraient donc à disposer d’une marge brute moyenne en valeur supérieure à celle réalisée par la société Les Bois du Nord sur ces deux catégories de clientèle (8 et 20 %).

Par ailleurs, l’Autorité constate que si une TRM de 15 % était appliquée sur les valeurs CAF des importations de pin Radiata et de pin Sylvestre rabotés ou non rabotés constatées en 2018, le rendement total de cette dernière avoisinerait 60 millions F.CFP par an au bénéfice de l’ensemble des contribuables calédoniens.  

En revanche, l’impact de l’introduction de la TRM demandée sur l’amélioration de la situation de la société Les Bois du Nord reste incertain et dépendra, là encore, de la politique tarifaire de ses concurrents importateurs-distributeurs. Néanmoins, dans l’hypothèse d’une répercussion partielle ou totale de la TRM sur les prix de vente des distributeurs de manière à conserver leurs marges, les prix pratiqués par la société Les Bois du Nord deviendraient en effet plus compétitifs qu’actuellement. L’Autorité en conclut que s’il n’est pas certain que l’introduction d’une TRM de 15 % soit suffisante à rétablir la situation financière de la société Les Bois du Nord, elle demeure toutefois moins attentatoire à la concurrence qu’une mesure de contingent ou qu’une subvention directe au bénéfice de cette seule société.

En contrepartie, l'Autorité considère que la société Les Bois du Nord devrait renforcer ses engagements en termes de diversité de gammes, de prix et d'investissement en s’engageant à :

  • produire sur commande et dans un délai raisonnable à compter de la commande du bois scié d’une longueur comprise entre 3,5 m et 6 m et de sections différentes ;
  • maintenir ses prix de vente hors taxe au niveau pratiqué en janvier 2020 à l’égard des professionnels et des particuliers pendant un an à compter de l’entrée en vigueur de la TRM et ne pas les augmenter de plus de 10 % jusqu’à la fin du bénéfice de la TRM dans la seule hypothèse où les prix pratiqués par ses concurrents auraient augmenté durant cette période ;
  • investir dans une abouteuse-entureuse d’occasion en 2020 afin de valoriser rapidement une partie de ses bois déclassés et augmenter son chiffre d’affaires ;
  • réaliser un audit complet de l’entreprise par des experts métiers qui seraient à même de proposer des voies d’amélioration rapide du rendement global de la scierie et de diminuer ainsi son prix de revient tout en développant une gamme étendue de produits (sections, longueurs, produits à haute valeur ajoutée tels que profilé, clin, bardage, etc).

Dans cette hypothèse, le bénéfice de l’introduction d’une TRM de 15 % devrait être temporaire et courir jusqu’au 22 décembre 2023, date d’expiration du permis temporaire d’exploitation à titre gratuit de la forêt du plateau de Tango et n’être renouvelée pour une période de trois ans que si elle s’avère toujours justifiée et qu’elle est assortie d’un engagement de la société Les Bois du Nord visant à verser un loyer à la Province Nord sur la base des tarifs du marché en vigueur. 

Si le gouvernement estimait néanmoins que ces engagements renforcés seraient insuffisants pour justifier l'introduction d'une TRM, l'Autorité propose d’autres pistes afin de valoriser la production locale de bois sans porter atteinte à la concurrence dont:

  • la négociation d’un accord interprofessionnel de la filière bois sous l’égide de l’Agence rurale pour assurer un meilleur placement des produits locaux dès lors que cet accord interprofessionnel ne conduit pas à fixer des prix minimums ni à favoriser l’échange d’informations confidentielles entre concurrents ;
  • l’instauration d’un système « d’accès prioritaire » à la commande publique du bois local structurel qui bénéficie de la qualification « Bois structurel » laquelle a été délivrée au pin des Caraïbes dans le cadre du RCNC ;
  • compte tenu des avantages environnementaux et bioclimatiques associés à l’utilisation du bois dans le secteur de la construction, des mesures d’incitation fiscale à l’achat de bois local destiné à la construction qui pèseraient néanmoins sur les finances publiques de la Nouvelle-Calédonie.