Aller au contenu principal

Avis relatif au fonctionnement du secteur pharmaceutique (n° 2022-A-01A du 28 février 2022)

avis médicament

Dans cet avis du 28 février 2022 à l'attention du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (ci-après "le Gouvernement"), l'Autorité décrit le fonctionnement du secteur pharmaceutique en Nouvelle-Calédonie et souligne les imperfections de marché qu’il serait possible de lever grâce à la mise en œuvre de 13 recommandations.

Les caractéristiques du secteur de l'approvisionnement et de la distribution de médicaments en Nouvelle-Calédonie

  • Une dépense courante de santé par habitant de 330 400 FCFP en moyenne, croissante (+10 % en cinq ans) mais qui reste inférieure celle de la métropole et de tous les autres territoires d'outre-mer ;
  • Une offre pharmaceutique satisfaisante par rapport à la moyenne de l'OCDE mais qui se caractérise par d'importantes disparités territoriales, avec une concentration dans le Grand Nouméa (46 officines de pharmacie) par rapport au reste du territoire (24 officines) étant précisé que 7 communes n'accueille aucune pharmacie et doivent s'appuyer sur les centres médico-sociaux, en particulier en Province Nord ;
  • Un secteur extrêmement encadré : le code de santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie définit les catégories de médicaments et les obligations s'imposant aux professionnels du secteur (répartiteur-grossiste, pharmaciens, médecins...) tandis que la procédure d'autorisation de mise sur le marché et les critères de détermination des modalités de remboursement des médicaments relèvent de la compétence métropolitaine ;
  • Une dépendance totale aux importations puisque tous les médicaments proviennent exclusivement de métropole ou de l'Union Européenne. En effet, de nombreuses barrières administratives et logistiques ne permettent pas de considérer l'Australie et la Nouvelle-Zélande, par exemple, comme des sources d'approvisionnement alternatives actuellement ;
  • Un marché de l'approvisionnement marqué par une cohabitation entre un circuit court permettant principalement aux établissements de santé de s'approvisionner directement auprès des laboratoires fabricants (2/3 de leurs approvisionnements en médicaments remboursables) et un circuit long qui nécessite le recours à un répartiteur-grossiste : en Nouvelle-Calédonie, la société Unipharma et le groupement des pharmaciens de Nouvelle-Calédonie (GPNC) se trouvent ainsi en situation duopolistique et approvisionnent près de la moitié des officines de Nouvelle-Calédonie chacun;
  • Un mode fixation des prix dual : 
    • Sur le marché de la distribution des médicaments non-remboursés, les prix de vente en gros et les prix de vente au détail en pharmacie sont libres;
    • Sur le marché de la distribution des médicaments remboursables, les prix de vente en gros et au détail sont déconnectés : ainsi, les prix de vente en gros sont libres mais les prix de vente au détail sont fixés par le Gouvernement.

Les imperfections de marché relevées dans le secteur

D'importantes barrières à l'entrée limitent le concurrence sur le marché aval de la distribution des médicaments

Les barrières légales ou règlementaires

  • Le monopole pharmaceutique impose que tout médicament ne puisse être vendu que par un pharmacien diplômé inscrit à l’ordre des pharmaciens sauf dérogation accordée par la DASS aux médecins des centres médico-sociaux pour un dépannage en urgence ;
  • Le monopole officinal impose que tout médicament vendu au stade du détail aux consommateurs soit effectué en officine. En conséquence, aucun médicament, qu’il soit remboursable ou non, ne peut être vendu en grande et moyenne surfaces ni en ligne par internet à des consommateurs calédoniens, même s’il était délivré par l’intermédiaire d’un pharmacien diplômé inscrit à l’ordre des pharmaciens ;
  • Le numerus clausus interdit la création d’une nouvelle officine dans les communes où la licence a déjà été délivrée pour 4 000 habitants. Une dérogation est possible lorsqu’il s’agit d’ouvrir une officine dans une commune de moins de 4 000 habitants qui n’en possède pas déjà ;
  • L'encadrement règlementaire des prix de vente des médicaments remboursables au détail alors que les prix de vente en gros sont libres conduit à ce que les économies susceptibles d’être réalisées par les grossistes-répartiteurs sur le marché amont de l’approvisionnement ne puissent être répercutées, sur le marché aval, à travers la baisse des prix de vente au détail des médicaments remboursables et viennent augmenter la marge des grossistes-répartiteurs ou des officines.

Les conséquences sur le fonctionnement du marché aval

EN ZONE TENDUE

  • Le numerus clausus favorise la rareté des licences d’exploitation et renchérit en conséquence artificiellement la valeur patrimoniale des officines existantes dans le Grand Nouméa : Les pharmacies déjà installées bénéficient ainsi d’une forme de rente de monopole local, ce qui favorise la spéculation lors de la revente sur un marché étroit;
  • Cette situation se traduit mécaniquement par un endettement plus conséquent des nouveaux entrants qui n’ont souvent pas d’autre choix que de combiner les modes de financement en ayant notamment recours aux services financiers de leur grossiste répartiteur. En pratique, la société Unipharma reste la seule à proposer encore ce type de prestations d'accompagnement à l'installation, conditionnées à l’obligation de conclure un contrat d’approvisionnement d’une durée équivalente au prêt et à la transmission de certaines informations stratégiques. Cette situation soulève un risque de placer le nouveau pharmacien en situation de dépendance économique vis-à-vis de son répartiteur-grossiste ou d’entente verticale;
  • Cette situation favorise aussi le rachat d’officines entre elles et se traduit par un mouvement de concentration susceptible de soulever des préoccupations de concurrence en cas d’augmentation des marges des officines sur les médicaments remboursés, d’alignement des prix des médicaments non remboursés entre les officines placées sous la même enseigne notamment.

EN ZONE RURALE

En zone rurale et en particulier dans les communes ne comptant pas suffisamment d’habitants, à l’instar de celles de la côte Est et de l’extrême Nord, le numerus clausus apparait au mieux inutile voire de nature à freiner l’implantation de nouvelles officines alors que ces zones sont déjà pénalisées par leur faible attractivité commerciale et par la difficulté de s’implanter sur des terres coutumières, faute de jeunes pharmaciens issus de ces zones rurales.

Couplé au double monopole pharmaceutique et officinal, l'accès aux médicaments demeure très compliqué, en dehors de la possibilité d'obtenir en urgence au centre médico-social des médicaments prescrits par le médecin du centre.

Un marché amont de l'approvisionnement marqué par un duopole déséquilibré à l'origine de nombreuses distorsions de concurrence

L’organisation actuelle du marché de l’approvisionnement conduit structurellement à des distorsions de concurrence du fait de la coexistence de statuts différents entre le GPNC et la société Unipharma.

Le GPNC jouit par sa qualité de coopérative d’avantages fiscaux, au premier rang desquels la non-imposition de ses bénéfices réalisés avec les officines coopératrices, qui lui procure un avantage concurrentiel important par rapport à la société Unipharma, qui elle, est soumise à l’impôt sur les bénéfices. Néanmoins, le GPNC voit, en contrepartie, son périmètre d’activité fortement restreint en ce qu’il ne peut fournir à titre habituel que ses sociétaires, contrairement à la société Unipharma.

Cette dualité de statuts se traduit par un marché peu dynamique et très peu concurrentiel car les pharmacies affiliées à chacun des grossistes ne recherchent pas d’autres sources d’approvisionnement pour faire jouer la concurrence en amont.

En outre, cette situation place Unipharma en situation de monopole pour répondre aux appels d’offres des établissements de santé et des pharmacies à usage intérieur (PUI) de sorte que cette société peut imposer des prix ou des conditions commerciales moins avantageuses que celles qui résulteraient d’une mise en concurrence. Face à un seul opérateur sur le marché de l'approvisionnement, les établissements de santé et les PUI sont également susceptibles de se trouver en situation de dépendance vis-à-vis de ce grossiste.

Enfin, l’instruction a permis de constater que cette situation favorise l’existence de pratiques commerciales irrationnelles de la part des grossistes-répartiteurs vis-à-vis de leurs clients occasionnels, à travers l’application de tarifs différenciés plus élevés, soi-disant justifiés par une recommandation de la DASS en 2012, conduisant parfois à vendre certains médicaments à un prix supérieur au tarif remboursé par la CAFAT, ou à l’inverse, à revendre à perte malgré l’interdiction posée par la loi. Certaines pratiques de contournement ont également été observées conduisant certains pharmaciens à réorienter le médecin prescripteur vers d’autres médicaments pour éviter ce type de pratiques commerciales.

Les 13 recommandations de l'Autorité en réponse aux 5 questions du Gouvernement

Comment favoriser l’installation de pharmacies en Nouvelle-Calédonie et limiter la concentration du réseau ? Est-ce pertinent pour favoriser la baisse des prix des médicaments ?

Recommandation n° 1 : Favoriser un maillage optimal de l’offre de médicaments sur le territoire calédonien, en zone rurale comme en zone tendue en supprimant le numerus clausus et en introduisant d’autres incitations destinées à favoriser l’implantation de nouvelles pharmacies en zone rurale, tels que la mise à disposition d’un local gratuite ou à loyer modéré, la création d’une zone franche, le recrutement d’un pharmacien en centre médico-social ou par la voie de la télémédecine afin de pouvoir joindre à distance un pharmacien « en ligne », aide pour favoriser le suivi d’études de pharmacien par des jeunes issus des zones rurales…

Recommandation n° 2 : Saisir l’Autorité pour avis en cas de projets de concentration ou de franchise d’officines, avant leur réalisation lorsque la DASS estime qu’il en résulterait d’éventuels risques concurrentiels.

Comment améliorer l’équilibre des relations commerciales entre grossistes et officines ?

Recommandation n° 3 : Opérer une séparation juridique entre l’activité de répartiteur-grossiste et celle de groupement d’achat sous forme de coopérative. Ainsi, l’activité de grossiste-répartiteur ne devraient pouvoir être exercée que sous forme de sociétés commerciales pour éviter toute forme de distorsions de concurrence entre les opérateurs tandis que les pharmaciens devraient pouvoir conserver la possibilité de former une coopérative pour grouper leurs achats auprès des répartiteurs-grossistes ; 

Recommandation n° 4 : Inviter le service d’instruction de l’Autorité à contrôler les pratiques commerciales des grossistes-répartiteurs vis-à-vis des pharmaciens au regard de leurs obligations en matière de transparence commerciale et de respect d’une saine concurrence.

Recommandation n° 5 : Interdire toute forme d’octroi d’avantages en nature ou espèce, de façon directe ou indirecte, par les grossistes-répartiteurs aux pharmaciens et aux médecins.

Recommandation n° 6 : Rappeler à l’ensemble des pharmaciens ainsi qu’à leurs organisations représentatives les règles de base du droit de la concurrence qui prohibent, sous peine de lourdes sanctions pécuniaires, toute forme d’entente ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence ou de faire obstacle à une enquête de concurrence.

Quels seraient les leviers pour baisser le prix des médicaments remboursables et non remboursables en Nouvelle-Calédonie au stade de la distribution en gros et au détail ? 

Recommandation n° 7 :  Soumettre le marché de la vente en gros de médicaments remboursables au principe de plafonnement des marges des grossistes-répartiteurs en fonction de la valeur du médicament et en tirer les conséquences sur les prix de détail réglementés pour les abaisser.

Recommandation n° 8 : Réglementer le marché des médicaments biosimilaires dans le code de la santé publique en prévoyant une obligation de substitution au médicament biologique de référence par le pharmacien lorsqu’elle est possible, à l’instar de celle en vigueur en matière de médicaments génériques par rapport aux médicaments princeps afin de réduire les dépenses de santé (économie estimée de 80 millions FCFP par an).

S’agissant des médicaments remboursables, quelle réglementation des prix retenir pour assurer la continuité de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire et renouveler le modèle de rémunération des pharmaciens ?

Recommandation n° 9 : Ouvrir le monopole officinal aux commerces de détail à dominante alimentaire tout en prévoyant une obligation d’approvisionnement auprès des grossistes-répartiteurs installés en Nouvelle-Calédonie et une obligation de délivrance par un pharmacien, en magasin, pour pouvoir conseiller les patients. A titre expérimental, l’ouverture à la concurrence pourrait dans un premier temps être limitée à la vente de médicaments « frontière », c’est-à-dire à la vente de médicaments non remboursables et dont l’usage ne nécessite pas impérativement de mises en garde lors de leur délivrance au sein de magasins de détail (autotest de dépistage de la Covid-19, autotest de grossesse, homéopathie…).

Recommandation n° 10 : Engager une négociation pour conclure un accord commercial bilatéral avec les autorités australiennes et néozélandaises, afin de lever certaines barrières règlementaires sur l’importation de médicaments les plus vendus en Nouvelle-Calédonie pour offrir une nouvelle voie d’approvisionnement alternatif aux grossistes-répartiteurs et animer le jeu de la concurrence sur le marché amont.

Recommandation n° 11 : Exonérer de droits de douane les médicaments à usage humain importés de pays hors Union européenne pour réduire les coûts, à commencer par les médicaments remboursables.

Recommandation n° 12 : Harmoniser les taux de TGC applicables entre médicaments remboursables et non remboursables et/ou prévoir l’exonération de tout ou partie des médicaments remboursables au même titre que certains « produits et matériels médicaux » pour réduire les coûts.

Recommandation n° 13 : Engager au plus vite des discussions avec les organisations professionnelles représentatives de la profession de pharmacien en vue de définir un modèle de rémunération des officines mixte, basé sur l’introduction d’honoraires de dispensation forfaitaires liés à certains actes (vaccinations, tests de virologie…) et sur la vente de médicaments, à l’instar des dispositifs métropolitains, australiens et néozélandais.