A la demande du gouvernement, l’Autorité rend son avis sur l’avant-projet de loi du pays portant régulation de marché et formule 15 recommandations
L’avant-projet de loi du pays présenté par le gouvernement vise à moderniser et renforcer le dispositif des protections de marché, désormais appelé « régulations de marché », afin de soutenir le développement de la production locale dans les secteurs agricole et industriel sous réserve de contreparties de la part des entreprises bénéficiaires. Il est principalement motivé par la nécessité de surmonter les contraintes de l’économie calédonienne liées à son insularité, l’étroitesse de son marché intérieur et sa moindre compétitivité faute de pouvoir bénéficier d’économies d’échelle.
Dans le cadre de sa Recommandation n° 2018-R-02 du 9 novembre 2018, l’Autorité a examiné les effets pro et anticoncurrentiels du dispositif des protections de marché et constaté que s’il ne restreignait qu’une seule forme de concurrence, celle des produits importés, au nom d’objectifs d’intérêt général, ce dispositif ne conduisait pas de manière générale et systématique à une allocation optimale des ressources au sens de la théorie du « bien-être », comme l’avaient déjà démontré plusieurs études économiques. Prenant néanmoins en considération l’existence d’une volonté politique forte de maintenir ce dispositif tout en l’améliorant, elle a formulé de nombreuses recommandations afin de tendre vers une réglementation minimisant les risques d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la libre concurrence et destinée à s’assurer que les mesures de régulation qui seront accordées favoriseront bien le « surplus global ».
Dans le cadre du présent avis, l’Autorité a tout d’abord actualisé les données à sa disposition.
Selon les chiffres de la Direction des affaires économiques, les protections de marché, au sens de la délibération n° 252 du 28 décembre 2006, représentent en 2018 une volumétrie de 506 tarifs douaniers (soit 7,4 % des tarifs douaniers), dont 347 tarifs douaniers sous mesures quantitatives (68 %) et 159 sous mesures tarifaires (32 %), hors mesures de régulation des viandes directement importées par l’OCEF.
Le secteur agricole compte, dans la seule filière fruits, légumes et fleurs, 88 tarifs douaniers sous mesures quantitatives (STOP ou quotas) correspondant à 80 catégories de produits couvrant une grande partie des fruits, légumes et fleurs. Parmi ces produits, 74 % sont protégés par des quotas (QTOP) et 26 % par des mesures d’interdiction (STOP). Ces mesures protectionnistes permettent effectivement d’écouler prioritairement les produits locaux et de contribuer à l’augmentation de la production animale et végétale, mais n’ont pas permis d’augmenter sensiblement le taux d’autosuffisance alimentaire depuis dix ans (évalué à 18 % en volume et à 45 % en valeur en 2017 contre respectivement 14 % et 51 % en 2007), compte tenu de la croissance démographique, ni empêcher le déclin de la population active agricole depuis trente ans (moins de 2 % de la population active en 2017). Dans le secteur des fruits et légumes en particulier, le système de contingentement a, par ailleurs, contribué à la raréfaction des produits offerts aux consommateurs et à l’augmentation anormale des prix entre 2010 et 2016 (+14 % pour les légumes et + 44 % pour les fruits alors que l’indice des prix à la consommation hors tabac était de 6 % sur la période).
Le secteur de l’industrie de transformation compte quant à lui 418 tarifs douaniers protégés, dont 259 par des mesures quantitatives (62 %) et 159 par des mesures tarifaires (38 %), qui correspondraient à 102 catégories de produits selon la Fédération des industries de la Nouvelle-Calédonie (45 catégories de produits agroalimentaires, 17 catégories de produits de consommation courante et d’équipement de la maison, 13 catégories de produits du bâtiment, 8 catégories de produits textiles, 6 catégories de produits relevant du secteur de l’imprimerie, 7 catégories de biens intermédiaires et d’équipements industriels et 6 catégories de biens du secteur auto/moto/bateau).
Dans ce secteur, qui représente 9 % de la création de richesse en 2017, la création d’entreprises a effectivement augmenté depuis 2007, passant de 1 837 entreprises à 2 628 entreprises recensées en 2018 (soit + 43 % par rapport à 2007). Parmi celles-ci, seules 583 entreprises emploieraient au moins un salarié (soit 22 % des entreprises du secteur) dont 275 entreprises protégées (soit 47 % des entreprises employeuses). Sur la période 2007-2017, il apparaît néanmoins que l’emploi salarié dans ce secteur est relativement stable malgré le dispositif des protections de marché. En effet, selon le rapport annuel de l’IEOM en 2017, l’industrie (hors mine et métallurgie) emploie près de 7 500 emplois alors qu’il décomptait déjà 7 316 emplois dans ce secteur dans son rapport annuel pour l’année 2008. L’Autorité en a déduit que l’augmentation de 43 % du nombre d’entreprises (soit 791 entreprises) sur cette période correspond principalement à des entreprises unipersonnelles non-employeuses.
L’examen de l’avant-projet de loi du pays a ensuite permis à l’Autorité de constater que si le gouvernement a retenu certaines de ses recommandations du 9 novembre 2018 (introduction d’un objectif de « création d’emplois », instauration de contreparties obligatoires de la part des entreprises bénéficiaires de mesures de régulation de marché, simplification de la procédure d’instruction des demandes, rétablissement d’une veille économique, nouvelle méthode d’attribution et de répartition des quotas dans un sens plus concurrentiel, interdiction des effets d’aubaine au sein d’un groupe d’entreprises, renouvellement sur demande de l’entreprise sous réserve de nouveaux engagements au lieu de l’actuel renouvellement tacite, suivi annuel des engagements sous peine de sanctions administratives, information du congrès chaque année), la philosophie qu’il porte est de privilégier et multiplier les mesures de régulation quantitatives (STOP et quotas) alors qu’elle préconisait, au contraire, de privilégier les mesures tarifaires, dont les effets anticoncurrentiels sont moindres, et de recourir, en dernier ressort aux mesures de contingentement ou d’interdiction en tenant compte de l’intensité concurrentielle sur le marché local.
Prenant acte de ce choix politique qui entend faire primer le développement de la production locale et de l’emploi sur un objectif de baisse des prix par la promotion de la concurrence, l’Autorité propose 15 recommandations considérant qu’il est néanmoins possible de mieux concilier ces objectifs.
Sur le fond, l’Autorité rappelle la nécessité d’introduire, dans la loi, des critères objectifs d’examen des demandes de mesures de régulation de marché en s’inspirant de la grille d’analyse de l’article Lp. 421-4 du code de commerce, qui impose de vérifier que 1) la mesure de régulation de marché contribue directement au « progrès économique » ; 2) qu’elle réserve aux utilisateurs une part équitable du profit qui en résulte ; 3) qu’elle n’élimine pas une partie substantielle de la concurrence et 4) qu’elle est indispensable, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’autres moyens moins attentatoires à la concurrence pour atteindre ce progrès économique. Elle invite de nouveau le gouvernement à supprimer toute possibilité de cumul de protections quantitative et tarifaire sur un même produit et à réserver l’octroi de mesures de régulation de marché aux seules entreprises locales ayant effectivement entamé la production et la commercialisation des produits protégés.
S’agissant des engagements, l’Autorité propose de préciser leur finalité, de les formuler de manière positive, de prévoir leur constatation par arrêté pour être opposables, d’imposer qu’ils s’appliquent pendant toute la durée de la protection et de préciser qu’ils doivent être efficaces, quantifiables, vérifiables et rapides à mettre en œuvre.
Sur le plan procédural, l’Autorité souligne la concentration de tous les pouvoirs au sein du gouvernement (règlementation douanière, règlementation des prix, octroi / modification / suppression / suspension / renouvellement de la mesure de régulation, application de la taxe de régulation de marché, examen des engagements) à travers la suppression de toute forme de consultation, à l’exception de son avis, réputé rendu au-delà d’un délai de 15 jours ouvrés. Or, l’Autorité considère ne pas être en mesure de rendre un avis indépendant et circonstancié dans un délai de 15 jours ouvrés et propose qu’il soit porté à 40 jours ouvrés afin de pouvoir apporter un véritable éclairage économique au gouvernement sur les conséquences de la mesure demandée sur le bien-être collectif. De plus, elle suggère de rendre public le rapport annuel transmis au congrès et de prévoir la tenue obligatoire d’un débat en séance publique sur ce rapport afin d’accroître la transparence sur ce sujet de société. Elle propose également de renforcer les garanties des entreprises aux différents stades de la procédure à travers un meilleur respect du contradictoire, de rendre le dispositif de dérogation aux mesures STOP moins arbitraire et de renforcer le montant maximal des sanctions pécuniaires en cas de non-respect des engagements pris par les entreprises bénéficiaires pour le rendre plus dissuasif.
Enfin, dans le cadre de l’examen des demandes de renouvellement des mesures de régulation de marché en vigueur dans un délai de 36 mois, elle recommande au gouvernement de privilégier d’abord l’examen des demandes relatives à des mesures d’interdiction (STOP, SHUE), puis celles relatives aux mesures de contingentement (QTOP, QUE) avant de réexaminer le bien-fondé des protections tarifaires en vigueur. Elle invite le gouvernement à procéder, dans ce délai, à un véritable réexamen du bien-fondé de chaque mesure de protection de marché, conformément à la révision générale des protections de marché qu’elle appelait de ses vœux le 9 novembre 2018.