L'ACNC a formulé en urgence, par courrier des observations et recommandations à l'attention du congrès et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (GNC) avant l'examen en séance publique demain du projet de délibération portant adaptation des règles relatives aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyage touristiques et de transport aérien dans le contexte de l’épidémie de Covid-19.
Si ce projet de délibération n’entre pas dans le champ des textes devant être obligatoirement soumis pour avis à l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ACNC) et répond à un objectif d’intérêt économique visant à préserver la trésorerie des entreprises du secteur aérien et touristique durement touchées par la crise du Covid-19, il est susceptible de porter néanmoins atteinte au fonctionnement de la concurrence dans le secteur touristique et aérien dans les mois à venir et, plus largement, à l’intérêt des consommateurs calédoniens.
A titre liminaire, l'ACNC a invité le GNC et le Congrès à privilégier l'adoption d'une loi du pays plutôt qu'une délibération de nature réglementaire pour déroger aux dispositions législatives et aux contrats en cours en raison de la crise du Covid-19 en se fondant expressément sur un motif impérieux d'ordre public pour éviter tout risque contentieux.
Sur le plan concurrentiel, l'ACNC constate qu’en permettant aux compagnies aériennes et aux agences de voyage et de tourisme (ci-après « agences ») de proposer en priorité à leurs clients un avoir pendant une période de 12 ou 18 mois plutôt que le remboursement intégral des sommes dûes en raison de l’annulation des voyages ou des vols entre le 21 mars et le 21 septembre 2020, les dispositions envisagées conduisent à suspendre toute possibilité, pour les consommateurs concernés, de mettre en concurrence les agences ou les compagnies aériennes pour réaliser une prestation équivalente à celle qui a été annulée dans les 12 à 18 mois à venir.
En effet, les consommateurs victimes de ces annulations de voyage ou de vol deviennent des consommateurs « captifs » vis-à-vis de leur cocontractant qui se trouve, lui, placé en situation de « faiseur de prix « (ou « price-maker ») pendant 12 à 18 mois contrairement à une situation de concurrence normale où l’entreprise subit le niveau des prix (« price-taker »). En pratique, la compagnie aérienne ou l’agence concernée aura le pouvoir de déterminer elle-même le niveau de prix n’étant plus soumise à aucune forme de concurrence. La compagnie aérienne ou l’agence concernée disposera d’une forme de monopole légal vis-à-vis de chacun de ses clients concernés pendant 12 à 18 mois lui permettant d’augmenter ses prix.
Ce risque paraît d’autant plus préjudiciable aux consommateurs concernés que les conséquences de l’épidémie de Covid-19 pourraient déjà conduire à une augmentation importante des coûts des compagnies aériennes qui les répercuteront nécessairement dans les prix des billets d’avion ou dans le prix des séjours proposés par les agences dans les prochains mois. Dès lors, si l’agence ou la compagnie aérienne est libre de fixer, au surplus, son niveau de marge, le prix des billets d’avion et des contrats de vente de voyage, de séjours, de service et de forfaits touristiques risquent de flamber.
Le préjudice subi par les consommateurs concernés du fait de la suspension de toute forme de concurrence pendant la période considérée sera plus important pour les ménages, en particulier les plus modestes, que pour les entreprises ou les institutions victimes d’annulations lorsqu’elles disposent d’une capacité de trésorerie leur permettant d’attendre l’expiration du délai de 12 ou 18 mois pour obtenir le remboursement des sommes dûes et d’engager de nouvelles dépenses de voyages en faisant jouer la concurrence pendant cette période.
Néanmoins, sur le plan macroéconomique, le projet de délibération qui conduit finalement les consommateurs (ménages, entreprises, institutions) à faire crédit pendant 12 à 18 mois aux agences et aux compagnies aériennes est une source de risque pour l’ensemble de l’économie calédonienne car il implique :
- Une augmentation du risque de crédit : les ménages, les entreprises et les institutions publiques supportant le non-remboursement des sommes dûes pendant la période de 12 à 18 mois portent une part significative du crédit bancaire à court terme;
- Un risque de contagion à travers une dégradation du pouvoir d’achat des ménages alors que nombreux d’entre eux se trouvent déjà en situation de chômage partiel, un renforcement des difficultés de trésorerie des entreprises calédoniennes en manque de liquidités et d’éventuelles dépenses publiques supplémentaires pour les institutions.
Dans ces conditions, l'ACNC a recommandé au GNC et aux membres du congrès de préciser et de compléter le dispositif envisagé afin de concilier l'objectif de soutien de la trésorerie des entreprises concernées et les impératifs de libre concurrence et de protection du consommateur de la manière suivante :
- Encadrer les marges des agences et des compagnies aériennes pendant la période de 12 à 18 mois pour compenser le pouvoir de marché que le projet de délibération va leur accorder;
- Prévoir un remboursement intégral des sommes dues à l’expiration du délai de 12 ou 18 mois majoré d’un taux d’intérêt légal équivalent à l’évolution de l’indice des prix à la consommation sur la période 12 à 18 mois afin d’éviter un risque de pertes de pouvoir d’achat des consommateurs majoré d'un taux d'intérêt de thésaurisation qui pourrait être, par exemple, celui du livret A dans la mesure où la trésorerie garantie aux entreprises concernées auraient pu être placée par les consommateurs sur un compte rémunéré pendant la période concernée s’ils avaient pu obtenir un remboursement intégral;
- Ne pas autoriser les entreprises bénéficiaires à verser de dividendes à leurs actionnaires au titre des exercices sociaux couverts par la période de la crise sanitaire et des 12 ou 18 mois pendant lesquels elles bénéficieront des mesures proposées par le projet de délibération, pour éviter le risque d’effet d’aubaine, à l’instar du dispositif pour bénéficier du chômage partiel;
- Préciser les critères selon lesquels les agences de voyage et de tourisme sont dans l’obligation de proposer " une prestation identique ou équivalente à la prestation initialement prévue";
- Préciser les cas d'impossibilité pour les agences de voyages et de tourisme de proposer " une prestation identique ou équivalente à la prestation initialement prévue";
- Ajouter la possibilité pour le client, d’utiliser, à sa demande, l’avoir disponible en agence pour une autre prestation que celle initialement envisagée. Cette option n’est actuellement prévue qu’à l’initiative de l’agence et non à celle du client;
- Faire courir le délai de 12 et 18 mois à compter de la date d’émission des billets d’avion ou de la date d’achat du voyage ou du séjour. En revanche, le délai d’utilisation de l’avoir pourrait être d’une durée plus longue;
- Préciser expressément qu’en cas de non-remboursement dans le délai imparti, la sanction administrative prévue à l’encontre des agences et des compagnies aérienne (article 11) s’ajoute à l’obligation de rembourser intégralement les sommes dues en application des règles du droit civil et commercial.