Entre août 2019 et août 2020, la Société d'Exploitation des Cinémas Hickson (ci-après la "SECH") a saisi l’Autorité par divers courriers d’une plainte à l’encontre de la Province sud, de la commune de Dumbéa, de la SECAL, de la SIC et des sociétés Ki Tii Ré (ci-après "KTR"), Promociné et Cininvest, ces dernières portant le projet d’installation d’un nouveau multiplex cinématographique sous enseigne « MK2 » dont l’ouverture est prévue dans la ZAC du centre urbain de Koutio à Dumbéa courant 2021. La SECH a également sollicité le prononcé de plusieurs mesures conservatoires.
La SECH reproche aux collectivités locales et sociétés susvisées d’avoir participé à une entente tendant à une « accumulation anormale de financements publics » au bénéfice des sociétés KTR, Promociné et Cinvinvest ayant permis « le surdimensionnement du projet dit MK2 à Dumbéa » qui serait motivée par « la volonté de tuer le CinéCity ». La SECH dénonce également des pratiques d’abus de position dominante traduisant un « comportement prédateur de la SECAL ».
Dans cette décision, l'Autorité rappelle tout d'abord les conditions et le cadre juridique de l’intervention des collectivités locales dans le secteur du cinéma en Nouvelle-Calédonie. Si les collectivités locales calédoniennes disposent d’une capacité d’intervention dans le domaine économique plus large qu’en métropole, faute d’application de la règlementation européenne encadrant le régime des aides publiques, l’Autorité souligne que leur intervention ne doit pas porter une atteinte disproportionnée au droit de la concurrence ni à la liberté du commerce et de l’industrie garantie par la Constitution.
S’agissant de la première décision de l’Autorité dans le secteur cinématographique, celle-ci a pris soin de définir le marché pertinent en l’espèce. Il s’agit du marché de l’exploitation cinématographique en salles sur l’agglomération du Grand Nouméa, sur lequel la SECH est en situation de monopole de fait et le nouveau complexe cinématographique MK2 est un nouvel entrant.
Concernant les pratiques alléguées, l’Autorité a d’abord examiné la question de sa compétence. En effet, en vertu du dualisme juridictionnel français, il n’appartient pas à l’Autorité de connaître des actes administratifs pris par les personnes publiques pour lesquels seul le juge administratif est compétent. En conséquence, les pratiques reprochées par la SECH tant à la Province sud qu’à la commune de Dumbéa ne sauraient être examinées par l’Autorité dès lors qu’elles ne sont pas détachables de l’exercice de prérogatives de puissance publique. En revanche, les pratiques reprochées à la SECAL et à la SIC - qui sont deux sociétés d'économie mixte locales - ne procèdent pas de prérogatives de puissance publique en l'espèce et relèvent donc de la compétence de l’Autorité.
Sur le fond, l'Autorité constate qu'aucune des pratiques alléguées par la SECH à l’encontre des cinq opérateurs privés mis en cause n’est démontrée.
En premier lieu, la SECH n’apporte aucun élément de nature à démontrer une entente entre les entreprises mises en cause pour attribuer illégalement des aides publiques excessives au soutien du projet de multiplex « MK2 ». Au contraire, l’évaluation du terrain litigieux par un expert judiciaire en 2017 transmis par la SECH montre que la valeur de cession du terrain entre la SECAL et la société Promociné est conforme au prix du marché. De plus, il ressort des pièces du dossier que la création des parkings à proximité du futur « MK2 » a été imposée à la SECAL par délibération de la Province sud. En outre, ces places de stationnement profitent aux usagers de l’ensemble des équipements de la ZAC et sont comparables aux places du parking public gratuit de la ville de Nouméa situées devant le multiplex Cinécity, dont profite la SECH.
Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de confirmer que la SIC aurait acquis plus cher l’autre parcelle de terrain jouxtant celui du futur « MK2 » ou qu’elle aurait pris à sa charge la construction d’une partie des ouvrages et la réalisation d’études destinées à la création du nouveau complexe cinématographique ni que, ce faisant, elle aurait participé à une entente anticoncurrentielle avec la SECAL et les sociétés KTR, Promociné et Cininvest ayant causé préjudice à la SECH.
Au demeurant, le seul fait qu’un nouvel opérateur entre sur le marché de l’exploitation cinématographique en salles dans la zone du Grand Nouméa n’a pas pour effet de porter atteinte au jeu de la concurrence. Au contraire, l’installation d’un nouveau multiplex cinématographique indépendant de la SECH est susceptible d’être pro-concurrentiel dans la mesure où il devrait répondre à une demande non satisfaite des consommateurs du Grand Nouméa, particulièrement ceux domiciliés à Dumbéa et au Nord de Nouméa, et diversifier l’offre cinématographique à travers la diffusion de films d’art et d’essai et de programmation culturelles nouvelles, dans le cadre de la franchise avec l’enseigne « MK2 » et de l’engagement pris en contrepartie du bénéfice du dispositif national de défiscalisation.
En deuxième lieu, la SECH estime que le la SECAL aurait abusé de sa position dominante en ayant recours à des subventions croisées, à une cession de terrain « à vil prix » en faveur de Promociné et à l’absence de publicité adéquate pour le projet d’aménagement de la ZAC.
Or, les éléments du dossier ne permettent pas de constater l’existence d’un abus de position dominante de la SECAL ayant pour objet ou pour effet d’éliminer un concurrent. En effet, l’Autorité constate tout d’abord que le marché sur lequel la SECAL aurait eu « un comportement prédateur (…) confinant à l’abus de position dominante » n’est pas défini par la SECH. Elle observe pour sa part que la SECAL n’exerçant pas d’activité commerciale dans la ZAC, elle n’est pas concurrente de la SECH, ni directement ni indirectement, par l’intermédiaire d’une filiale par exemple. La SECAL n’est donc pas susceptible d’abuser d’une éventuelle position dominante destinée à évincer la SECH.
Au surplus, comme indiqué précédemment, le prix de cession du terrain à Promociné apparaît conforme au prix du marché et la construction de places de parking publiques ne relève pas d’un choix indépendant de la SECAL mais résulte d’une obligation règlementaire.
Enfin, l’Autorité constate que la SECAL, bien que non soumise à la délibération n° 136 relative à la réglementation des marchés publics, a procédé en janvier 2011 à un appel à projets pour l’aménagement de la ZAC pour lequel la SECH ne s’est pas manifestée avant janvier 2015, date à laquelle la SECAL était déjà engagée avec la société KTR.
Pour l’ensemble de ces motifs, l’Autorité déclare la saisine au fond pour partie irrecevable, certaines pratiques alléguées par la SECH n’entrant pas dans son champ de compétence, et, s’agissant des autres pratiques alléguées, la rejette pour défaut d’éléments probants. Elle rejette en conséquence la demande de mesures conservatoires de la SECH.
Pour lire le résumé et la décision complète, voir infra.