Le 20 février 2019, la Direction des achats, du patrimoine et des moyens de la Nouvelle-Calédonie (DAPM) a lancé un appel d’offres pour le nettoyage des bureaux et des annexes de directions ainsi que des infrastructures sportives de la Nouvelle-Calédonie. Parmi les entreprises soumissionnaires, la DAPM a constaté que trois d’entre elles, les sociétés EGN Nettoyage, Net Eclair et Sprint Pacifique partageaient un gérant commun, laissant craindre une pratique d'entente anticoncurrentielle au détriment de l'acheteur public.
Dans cette décision, après une enquête approfondie, l’Autorité a néanmoins prononcé un non-lieu.
Sur le droit applicable
L'Autorité rappelle tout d’abord le droit applicable en Nouvelle-Calédonie. Si le cadre juridique des marchés publics est aujourd’hui fixé par la délibération n° 424 du 20 mars 2019 et complété par un guide des marchés publics édité le 9 décembre 2019 qui prévoit que les filiales non-autonomes d’un même groupe ne peuvent plus présenter des offres individuelles, l’Autorité constate que seule la délibération n° 136 du 1er mars 1967 régissait la procédure d’appel d’offres du 20 février 2019. Or, cette délibération est silencieuse sur le statut de filiales d’un même groupe répondant à un appel d’offres, de même que le règlement particulier de l’appel d’offres.
L’Autorité rappelle en outre que le droit de la concurrence calédonien n'interdit pas, en soi, le dépôt d'offres distinctes en réponse à un même appel d’offres par des sociétés appartenant à un même groupe mais sanctionne la coordination d’offres distinctes par des sociétés appartenant ou non à la même unité économique pour tromper l'acheteur public, sur le fondement du droit des ententes.
L’Autorité s'écarte sur ce point du revirement de jurisprudence récent de l’Autorité de la concurrence métropolitaine qui considère désormais, sous l’impulsion de la Cour de justice européenne, que les sociétés-mères et leurs filiales non-autonomes doivent être regardées comme une seule unité économique ne pouvant être sanctionnées au titre du droit des ententes, quand bien même elles auraient soumissionné à un appel d’offres de façon séparée et que cette pratique ne peut plus être sanctionnée que sous couvert du droit européen des marchés publics.
Trois raisons motivent ce choix.
En premier lieu, la Nouvelle-Calédonie n’est pas soumise au droit de l’Union européenne à l’origine ce revirement jurisprudentiel.
En deuxième lieu, la Nouvelle-Calédonie est marquée par un contexte insulaire susceptible d’aggraver les effets anticoncurrentiels d’une entente dans le cadre d’un marché public si bien que le droit de la concurrence doit être un recours effectif pour les décideurs publics calédoniens confrontés à de telles pratiques à l'occasion de la passation d'un marché public.
En troisième lieu, compte tenu des directives du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie posées dans le guide des marchés publics qu'il a publié en 2019, il convient de considérer que les soumissions coordonnées d’entités appartenant à un même groupe - autonomes et non autonomes - ont vocation à être appréhendées sur le fondement de l’article Lp. 421-1 du code de commerce relatif au droit des ententes.
Sur l'application au cas d'espèce
En l’espèce, l’Autorité constate que les craintes du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur l’absence d’autonomie des sociétés mises en cause, en raison de l’existence d’un gérant commun n’étaient pas fondées. L’instruction a en effet démontré que les trois sociétés, bien qu’appartenant à un même groupe étaient autonomes les unes par rapport aux autres sur le plan commercial. L’Autorité précise que les sociétés mises en cause auraient pu informé la DAPM de leurs liens capitalistiques mais que, d’une part, l’obligation d’information sur ce point n’était pas prévue par la réglementation alors applicable et, d’autre part, que cette seule omission ne saurait suffire à caractériser une dissimulation blâmable et in fine l’intention des trois sociétés de tromper l’acheteur public sur la réalité de la concurrence entre elles.
Par ailleurs, l’analyse des offres présentées par les sociétés mises en cause, tant par le service d’instruction de l’Autorité que par la DAPM, démontre que les propositions tarifaires des sociétés mises en cause, bien que proches, n’étaient pas fixées à un niveau identique ou similaire, les dissemblances entre les offres permettant de déterminer que les actes d’engagement avaient été élaborés par des personnes distinctes et de manière indépendante les unes des autres.
Enfin, l’Autorité constate que les pratiques présumées n’ont pas concouru à renchérir les prix sur le marché des services de nettoyage de locaux professionnels, les trois sociétés mises en cause ayant proposé des prix plus bas que trois de leurs concurrentes. Ainsi, la concertation anticoncurrentielle suspectée par la DAPM entre les trois sociétés mises en cause aurait surtout eu pour effet de contourner les modalités d’allotissement décidées par le pouvoir adjudicateur, et notamment la limitation du nombre maximal de macro-lots attribués à une même entreprise. Cependant, l’Autorité souligne que la taille des macro-lots limitait, par elle-même, le nombre de sociétés susceptibles de soumissionner. Aussi, le choix de la DAPM d’organiser son appel d’offres en seulement cinq macro-lots a inéluctablement contribué à la fois à affecter l’intégrité concurrentielle du marché et à obérer le principe de liberté d'accès à la commande publique, dès lors que cet allotissement privilégiait les sociétés de taille supérieure.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l’Autorité considère que les pratiques anticoncurrentielles présumées lors de l’appel d’offres lancé le 20 février 2019, à l’encontre des sociétés Net Eclair, EGN Nettoyage et Sprint Pacifique, ne sont pas établies et qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure, conformément aux dispositions de l’article Lp. 464-6 du code de commerce relatif au non-lieu.