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Avis n°2021-A-01 du 1er février 2021 sur l'avant-projet de loi du pays modifiant le livre IV du code de commerce

Code de commerce

Le 7 janvier 2021, le gouvernement a saisi pour avis l’Autorité, sur le fondement de l’article Lp. 462-2 du code de commerce, sur l’avant-projet de loi du pays du pays modifiant le livre IV du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et portant diverses mesures d’ordre économique. Le présent avis conduit à formuler 5 recommandations.

1/ Les modifications apportées pour simplifier, accélérer et garantir davantage les droits procéduraux des entreprises devant l’Autorité sont bienvenues

L'Autorité accueille favorablement les modifications proposées aux articles 1 à 10 et 13 à 19 de l’avant-projet de loi du pays et formule trois recommandations à cet égard. 

a) Sur la conclusion d'accords interprofessionnels pour aménager les règles relatives à la transparence et aux pratiques commerciales restrictives

A l’occasion de l’examen de l’article 9, qui supprime l’article Lp. 441-1 du code de commerce en ce qu’il est redondant avec le premier alinéa de l’article Lp. 440-2 lequel permet déjà « la conclusion d’accords interprofessionnels entre organisations ou syndicats professionnels, dont la représentativité est reconnue par la commission consultative des pratiques commerciales [CCPC] » pour déroger, le cas échéant, aux dispositions relatives à la transparence et aux pratiques commerciales restrictives, l’Autorité invite le gouvernement à s’interroger sur le fonctionnement actuel de cette commission consultative qui est une « coquille vide ».

En effet, la composition de cette commission comme le fait que ses membres n’aient pas été nommés depuis 2012 et qui n’a donc rendu aucun avis depuis, sont problématiques. 

L’Autorité recommande donc prioritairement de réformer la composition de la CCPC, lui donner les moyens de remplir ses missions légales et l’autoriser à désigner comme rapporteurs extérieurs des experts en matière de pratiques commerciales restrictives (avocats, professeurs de droit…). A défaut, il conviendrait de supprimer la référence à cette commission à l’article Lp. 440-2 (recommandation n° 1). 

b) Sur le renforcement des garanties procédurales des entreprises poursuivies pour défaut de notification préalable des opérations de concentration

A l’occasion de l’examen de l’article 6, l’Autorité se félicite de la clarification des dispositions de l’article Lp. 430-8 et du renforcement des garanties procédurales offertes aux entreprises poursuivies pour des infractions aux règles relatives au contrôle des concentrations. Néanmoins, l’Autorité constate un oubli et propose donc d’étendre ces garanties procédurales en cas de procédure d’infraction diligentée en application du V de l’article Lp. 431-8 du code de commerce, c’est-à-dire contre une entreprise qui ne respecterait pas une décision de l’Autorité (recommandation n°2).  

c) Sur le renforcement de la séparation des fonctions d'instruction et de jugement, même dans le cadre d'une procédure pour avis 

A l’occasion de l’examen de l’article 17, l’Autorité observe que la rédaction proposée ne permet pas d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir préciser qu’il n’y a pas lieu de prévoir, lors du délibéré par le collège de l’Autorité, la présence du rapporteur général ou son adjoint et du rapporteur, même en matière d’avis, conformément à la pratique retenue par l’Autorité depuis sa création. 

En effet, l’article 17 prévoit la suppression du quatrième alinéa de l’article Lp. 463-7 qui autorise actuellement leur présence au délibéré sauf en cas de poursuites contentieuses alors qu’il conviendrait simplement de rédiger cet alinéa ainsi : « Aucun agent du service d’instruction n’assiste au délibéré » (recommandation n°3). 

A défaut, et si l’article 17 était adopté, la suppression du 4e alinéa de l’article Lp. 463-7 pourrait laisser planer le doute d’un éventuel non-respect du principe fondamental de séparation des fonctions d’instruction et de jugement dans le cadre de la mission répressive de l’Autorité, ce qui n’est évidemment pas le cas. 

2/ L'introduction d'une sanction pécuniaire en cas de refus de vente entre professionnels sur le fondement de l'article Lp. 442-1 est indispensable (article 11)

L’Autorité se félicite de constater, à l’article 11 de l’avant-projet de loi du pays, l’introduction d’une sanction pécuniaire en cas de refus de vente injustifié entre professionnels, pratique qui était jusqu’alors prohibée par l’article Lp. 442-1 du code de commerce mais jamais sanctionnée faute d’avoir précisé le montant de la sanction encourue. 

Or, dans un petit territoire insulaire, il est indispensable de sanctionner des pratiques de refus de vente injustifiées qui peuvent pénaliser des acheteurs de bonne foi, voire verrouiller l’ensemble du marché, par l’intermédiaire d’exclusivités non conformes aux possibilités déjà prévues à l’article Lp. 442-1. 

L’Autorité recommande néanmoins au gouvernement de prévoir un plafond maximal de sanction harmonisé avec celui déjà prévu en cas de violation des règles de facturation. Ainsi, l'article 11 devrait-il préciser que le montant maximal de la sanction prononcée par l’Autorité ne peut excéder 8,5 millions de francs CFP pour une personne physique et 45 millions de francs CFP pour une personne morale (recommandation n° 4). 

3/ L'allongement des délais de paiement entre professionnels proposé par l'article 12 est excessif

L’Autorité constate qu’à la suite de son action volontariste pour lutter contre les délais de paiement excessifs en Nouvelle-Calédonie qui l’ont conduite à sanctionner cinq grandes entreprises calédoniennes en 2020, le gouvernement entend assouplir les règles en vigueur pour satisfaire une partie du monde entrepreneurial qui demande un allongement du délai légal maximal et une possibilité de négociation contractuelle des délais de paiement, en s’inspirant du modèle métropolitain. 

L’article 12 propose ainsi d’allonger le délai maximal légal de « trente jours suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation » à « trente jours fin de mois suivant la date d’émission de la facture » et d’introduire une possibilité de modulation contractuelle « qui ne peut excéder quarante-cinq jours fin de mois suivant la date d’émission de la facture ». 

L’Autorité rappelle qu’en métropole, les articles L. 441-10 à L. 441-6 encadrent les délais de paiement entre professionnels de manière très détaillée. Le délai de paiement légal maximal de droit commun prévu par l’article L. 441-10 du code de commerce métropolitain est le même qu’en Nouvelle-Calédonie actuellement. Il n’est possible d’y déroger que par voie contractuelle dans des conditions beaucoup plus strictes que celles proposées à l’article 12 : ainsi, en métropole, le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours après la date d'émission de la facture, ou par dérogation, quarante-cinq jours fin de mois après la date d'émission de la facture sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours après la date d'émission de la facture. Enfin, en métropole, le non-respect de ces délais de paiement est puni d’une amende maximale de 75 000 € pour une personne physique (environ 9 millions de F.CFP) et deux millions d’euros pour une personne morale (environ 240 millions F.CFP). 

Compte tenu des spécificités de l’économie insulaire calédonienne, l’Autorité considère que la modification proposée par l’article 12 conduit à allonger de façon excessive le délai de paiement légal maximal (jusqu’à 60 jours suivant la date d’émission de la facture) et autorise, sans aucune justification ni contrepartie, les entreprises calédoniennes – en particulier les plus grandes – à négocier, par voie contractuelle, un délai pouvant aller jusqu’à 75 jours suivant la date d’émission de la facture (45 jours fin de mois). Ces dispositions sont beaucoup plus laxistes que celles applicables en métropole.  

L’Autorité rappelle qu’en Nouvelle-Calédonie, l’essentiel du tissu économique est fondé sur des petites entreprises ayant une assise financière faible et un pouvoir de négociation très limité par rapport aux grands donneurs d’ordre. En conséquence, des délais de paiement anormalement longs vont de pair avec des tensions sur la trésorerie des PME et leur besoin de fonds de roulement, souvent couvert par un recours à l’endettement. Des délais de paiement excessifs sont donc de potentiels facteurs de fragilité (relations fortement déséquilibrées avec le donneur d’ordre, dépendance à un petit nombre de clients…) et peuvent aussi être à l’origine de défaillances pour les créanciers qui les subissent.  

En outre, s’il est exact que le délai de paiement légal en vigueur en Nouvelle-Calédonie est difficile à respecter en pratique, puisqu’en moyenne, les délais de paiement fournisseurs seraient d’environ 45 jours selon l’estimation de la CCI-NC réalisée à la suite d’une enquête auprès de ses membres en novembre 2019, le fait d’allonger le délai légal maximal à 60 jours à compter de la date d’émission de la facture, voire à 75 jours, par voie contractuelle, va nécessairement conduire à dégrader la moyenne actuelle des délais de paiement des entreprises calédoniennes.  

L’Autorité met donc en garde le gouvernement sur le risque de fragilisation de l’économie calédonienne résultant de l’allongement des délais de paiement prévu par l’article 12, qui lui paraît excessif car il pourrait conduire à la faillite des entreprises les plus fragiles et, potentiellement, soulève un risque systémique en cas de défaillances en cascade. 

Par ailleurs, l’Autorité s’étonne que l’allongement des délais de paiement ne s’accompagne pas d’un relèvement sensible du montant maximal des amendes encourues en cas de non-respect puisque l’article Lp. 443-3 du code de commerce n’est pas modifié et prévoit seulement une amende dont le montant ne peut excéder 1 million de F.CFP pour une personne physique et 5 millions de FCFP pour une personne morale. 

Or, en pratique, les deux principales difficultés soulevées par les entreprises calédoniennes dans leurs observations concernant le délai de paiement légal de 30 jours suivant la livraison du bien ou la réalisation de la prestation tiennent, d’une part, au fait que le fournisseur émet parfois tardivement sa facture malgré l’obligation posée par l’alinéa 2 de l’article Lp. 441-3, plaçant l’acheteur en situation d’incertitude et de risque de sanction même s’il paie dans les trente jours suivant l’émission d’une facture émise postérieurement à la réalisation de la prestation ou la livraison du bien ; d’autre part, au fait que les entreprises règlent leurs factures à la fin de chaque mois pour des raisons pratiques (en cas de factures multiples) et en raison de contraintes informatiques (logiciels comptables), ce qui n’est pas toujours possible dans le cadre d’un délai de 30 jours à compter de la réalisation de la prestation ou de la livraison du bien. 

L’Autorité considère que la clarification du point de départ du délai proposée par l’article 12 répond à la première préoccupation des entreprises calédoniennes et propose au gouvernement :

  • de fixer le délai de paiement légal maximal à « quarante-cinq jours suivant la date d’émission de la facture » pour répondre à la deuxième préoccupation des entreprises calédoniennes   
  • sous réserve d’augmenter, en contrepartie, le montant maximal des sanctions encourues de 1 à 8,5 millions pour une personne physique et de 5 à 45 millions pour une personne morale
  • et de ne pas introduire la faculté de déroger à ce nouveau délai légal maximal, par voie contractuelle, étant donné le risque de déséquilibre entre les parties au contrat. 
A titre subsidiaire, si le Gouvernement maintenait une possibilité de modulation contractuelle, l'Autorité lui recommande vivement d’encadrer ce délai de paiement contractuel pour qu’il ne puisse excéder soixante jours suivant la date d’émission de la facture (recommandation n° 5).