Dans le contexte mondial de lutte contre la prolifération des déchets plastiques qui a justifié l’adoption de nombreuses mesures de restriction et d’encadrement des sacs plastiques et autres matières plastiques dans près de 60 pays, y compris dans la zone pacifique, la proposition de loi du pays, soumise pour avis à l’Autorité, vise à réduire les déchets plastiques en Nouvelle-Calédonie à travers deux catégories de mesures.
1/ L’interdiction de la mise à disposition à titre gratuit ou onéreux :
- Des sacs de caisse en matières plastiques à usage unique destinés à l’emballage de marchandises au point de vente (article 2-1°), à compter du 1er mai 2019 ;
- Des sacs en matières plastiques à usage unique destinés à l’emballage de marchandises au point de vente autres que les sacs de caisse (sacs fruits et légumes…), sauf ceux compostables et constitués pour tout ou partie de matières biosourcées (article 2-2°), à compter du 1er mai 2019 ;
- Des sacs de caisse réutilisables en matières plastiques destinés à l’emballage de marchandises au point de vente (type « sacs cabas ») sauf ceux compostables et constitués pour tout ou partie de matières biosourcées et ceux recyclables (article 4), à compter du 1er mai 2019 ;
- Des gobelets, verres, tasses, assiettes, couverts, pailles à boire, et touillettes en matières plastiques jetables à compter du 1er septembre 2019 (article 7) ;
- Des barquettes en matières plastiques jetables destinées à l’emballage alimentaire à compter du 1er mai 2020 (article 7).
2/ L’interdiction générale et illimitée dans le temps de toute importation :
- Des sacs en matières plastiques à usage unique, destinés à l’emballage de marchandises au point de vente, compostables et constitués pour tout ou partie de matières biosourcées (article 3) ;
- Des sacs réutilisables en matières plastiques (article 5).
Enfin, les articles 6, 8 et 9 de la proposition de loi du pays sont consacrés, d’une part, à l’obligation pour les producteurs de sacs d’informer les consommateurs sur la composition et l’utilisation des sacs visés par la loi au travers d’un marquage sur le sac (article 6), et d’autre part, à la définition des sanctions administratives encourues en cas de non-respect des articles 2 à 7 de la loi.
Saisie en application de l’article Lp. 462-2 du code de commerce, l’avis de l’Autorité porte uniquement sur les articles 2 à 5 de la proposition de loi du pays qui règlementent la mise à disposition de sacs plastiques à usage unique et réutilisables en Nouvelle-Calédonie et introduisent un régime ayant directement pour effet de soumettre l'accès aux marchés des sacs en matières plastiques en Nouvelle-Calédonie à des restrictions quantitatives absolues.
L’Autorité considère que l’interdiction de mettre à disposition à titre onéreux ou gratuit certains sacs en matières plastiques à usage unique (article 2) ou réutilisables (article 4) poursuit un objectif d’intérêt général de protection de l’environnement. Celui-ci revêt une importance particulière en Nouvelle-Calédonie compte tenu de la nécessité de lutter contre la pollution marine et la dangerosité des micro-plastiques sur la santé humaine et de promouvoir le développement économique dans les secteurs du tourisme, de la pêche et des activités en lien avec la préservation du récif coralien. Cette interdiction de mise à disposition de sacs plastiques, qui s’applique de façon non discriminatoire à l’ensemble des entreprises sur le territoire calédonien, ne soulève pas de préoccupations de concurrence.
En revanche, l’Autorité estime que l’interdiction d’importer les sacs en matières plastiques à usage unique destinés à l’emballage de marchandises au point de vente, compostables et constitués pour tout ou partie de matière biosourcées (article 3) et de sacs plastiques réutilisables ayant les mêmes caractéristiques ou recyclables (article 5) porte une atteinte injustifiée, inadaptée et disproportionnée à la libre concurrence.
S’agissant de l’article 3, l’Autorité constate qu’il existe déjà une mesure d’interdiction d’importation de sacs plastiques à usage unique (couvrant les sacs composés en tout ou partie de matières biosourcées et compostables) dans le cadre du programme annuel d’importation pour 2018.
L’article 5 introduit, pour sa part, une nouvelle barrière à l’entrée absolue sur le marché des sacs réutilisables destinés à l’emballage de marchandises au point de vente, alors que ce marché était jusqu’alors totalement ouvert à la concurrence des produits importés. Cette mesure, par nature anticoncurrentielle, impactera négativement l’activité des entreprises installées en Nouvelle-Calédonie ayant une activité d’importation de sacs en plastiques réutilisables. Cette situation sera d’autant plus préjudiciable que la rédaction retenue est extrêmement large et conduira à interdire l’importation de tous les sacs en plastique recyclables destinés à l’emballage de marchandises au point de vente, dont les sacs isothermes, les sacs de bois ou les sacs de gravas par exemple, qui ne sont pas produits localement. Si cette interdiction était maintenue, l’Autorité recommanderait au congrès de recentrer précisément le champ de l’article 5 et de l’accompagner de la création d’une sous-position douanière extrêmement précise dans le cadre d’une proposition de délibération.
Toutefois, à la suite d’une analyse concurrentielle des marchés affectés par les articles 2 à 5 de la proposition de loi du pays, l’Autorité considère que les interdictions totales d’importation des sacs plastiques autorisés, sans limitation de durée, ne permettront pas d’assurer un progrès économique en Nouvelle-Calédonie en réservant aux utilisateurs de sacs plastiques une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux producteurs locaux la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. En effet, il ressort de l’instruction que les producteurs locaux de sacs plastiques ne sont pas encore en mesure de produire des sacs plastiques à usage unique ou réutilisables composés en tout ou partie de matières biosourcées et compostables ni même qu’ils s’engageront vers cette activité étant donné la fragilité de la matière première utilisée, l’augmentation de leur coût de revient (4 à 6 fois supérieur) et les incertitudes sur le niveau de la demande. Il en résulte que, en dehors de toute possibilité d’importation, l’offre de sacs plastiques nouvellement autorisés pourrait être insuffisante, sans garantie de qualité, tandis que les opérateurs locaux disposant d’un droit exclusif de production pourraient pratiquer des prix plus élevés que s’ils étaient soumis en tout ou partie à la concurrence des produits importés.
L’Autorité considère au surplus que ces mesures protectionnistes ne seraient pas nécessaires pour compenser l’impact sur le chiffre d’affaires des producteurs locaux de l’interdiction de mettre à disposition des sacs à usage unique en raison d’un report probable de la demande sur les ventes de sacs poubelle fabriqués par les mêmes producteurs et protégés par une mesure « STOP » et du développement de la production locale d’autres sacs substituables aux sacs en plastiques, en particulier les sacs en papier à usage unique ou les sacs réutilisables en tissu ou tressés notamment.
En revanche, ces mesures protectionnistes auront pour effet de limiter l’activité des importateurs grossistes et, surtout, de renchérir les prix des sacs plastiques autorisés à l’égard des détaillants ou des consommateurs.
En outre, comme l’a regretté le commissaire du gouvernement en séance, l’Autorité estime que les articles 3 et 5 de la proposition de loi du pays conduisent à un détournement de la procédure règlementaire d’attribution ou de renouvellement d’une protection de marché prévue par la délibération n° 252 du 28 décembre 2006. En effet, cette délibération fixe des critères et conditions précises d’attribution ou de renouvellement d’une protection de marché, à la suite d’une procédure particulière (consultation du comité du commerce extérieur, avis de l’Autorité), qui peut notamment permettre au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de déterminer la mesure de protection la plus adéquate (taxes, quotas, ou mesure de suspension des importations) et de réclamer des contreparties aux entreprises bénéficiaires, pendant la durée de la protection.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’Autorité préconise au congrès de supprimer les articles 3 et 5 de la proposition de loi du pays et de rappeler dans l’exposé sommaire de la proposition de loi du pays ou à l’occasion des débats que, le cas échéant, si les producteurs locaux sur le marché des sacs plastiques s’engageaient effectivement dans une démarche de production et de commercialisation de sacs en matières plastiques à usage unique, destinés à l’emballage de marchandises au point de vente, compostables et constitués pour tout ou partie de matière biosourcées et/ou de sacs réutilisables en matières plastiques, ils seraient fondés à demander le bénéfice d’une mesure de protection de marché en respectant la procédure en vigueur.