La Nouvelle-Calédonie enregistre en moyenne 1 600 décès par an. Avec 200 décès liés à l’épidémie de la covid-19 entre le 7 septembre et le 10 octobre 2021, les calédoniens font soudainement face à une augmentation massive du nombre de décès sur le territoire. De la même manière, l’augmentation du nombre de patients en service de réanimation, du fait de l’épidémie, conduit à un besoin inédit d’oxygène médicinal.
Par courrier en date du 29 septembre 2021, le gouvernement a saisi l’Autorité d’une demande d’avis relative à un projet de délibération instituant des mesures exceptionnelles relatives à l’épidémie de la covid-19, et en particulier, sur l’encadrement des prix des services de pompes funèbres et de l’oxygène à usage médical (article 10).
Sur la possibilité de règlementer les prix en Nouvelle-Calédonie
Dans cet avis, l’Autorité rappelle tout d’abord qu’en application des principes posés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-774 QPC du 12 avril 2019, le législateur calédonien peut déroger, sur le fondement de l’article Lp. 411-2 du code de commerce, au principe de liberté des prix, qui découle de la liberté d’entreprendre, pour encadrer, par délibération du Congrès :
– les prix de tous produits ou services pour lesquels les conditions d’une concurrence libre et non faussée ne sont pas réunies ;
– et/ou les prix des seuls produits et services de première nécessité ou de grande consommation compte tenu de leur impact sur le budget des ménages.
Sous ces deux hypothèses alternatives ou cumulatives, le gouvernement peut donc règlementer les prix des produits et services concernés à tous les stades de leur commercialisation (production/importation/grossiste/détaillant), qu’ils soient destinés à être vendus directement ou non aux consommateurs finaux, dès lors que la règlementation prévue répond à un objectif d’intérêt général et soit adaptée et proportionnée pour l’atteindre.
Sur la règlementation du prix de l'oxygène médicinal
S’agissant de l’oxygène médicinal, l’Autorité considère que ce médicament, principalement utilisé par les établissements hospitaliers pour assurer la réanimation des patients en cas d’insuffisance respiratoire, entre dans le champ du II de l’article Lp. 411-2 du code de commerce et peut faire l’objet d’un encadrement des prix, en raison de la domination du marché par la société Gazpac, opérateur en situation de monopole de fait sur le territoire.
L’Autorité estime également que la maîtrise des tarifs de vente de l’oxygène médicinal en période de crise sanitaire majeure liée à l’épidémie de la covid-19, constitue un objectif d’intérêt général susceptible de justifier une atteinte à la liberté des prix afin d’éviter un éventuel effet d’aubaine de la part de l’opérateur en situation de monopole, bien qu’à ce jour aucun abus n’ait été constaté.
Elle recommande néanmoins au gouvernement de restreindre le champ de la règlementation des prix envisagée pour que cette mesure soit strictement limitée à la seule période pendant laquelle la Nouvelle-Calédonie enregistre des hospitalisations liées à l’épidémie de la covid-19 (recommandation n°1).
L’Autorité considère enfin que, parmi les différentes mesures de réglementation des prix prévues par le I de l’article Lp. 411-2 du code de commerce, la mesure la plus adaptée et la plus proportionnée au risque d’effet d’aubaine soulevé par le gouvernement serait de placer l’oxygène à usage médicinal sous le régime de la « liberté contrôlée » dans le cadre d’un arrêté. En conséquence, la société Gazpac resterait libre de faire évoluer ses tarifs sous réserve d’autorisation préalable du gouvernement (recommandation n° 2).
Sur la règlementation du prix des services de pompes funèbres et services funéraires
S’agissant des services de pompes funèbres et services funéraires, dont le montant s’élève actuellement entre 370 000 F.CFP et près d’un million de francs CFP pour une personne décédée de la covid-19, l’Autorité considère, à l’instar du gouvernement, que ces services entrent bien dans le champ des prestations de service de première nécessité ayant un impact sur le budget des ménages et qu’ils peuvent donc faire l’objet d’un encadrement tarifaire au sens de l’article Lp. 411-2 du code de commerce.
L’Autorité souligne qu’aucun élément ne permet de considérer que les opérateurs funéraires publics ou privés ont augmenté leurs tarifs en raison de la crise sanitaire, certains les ayant même baissés. Néanmoins, étant donné les montants considérés, ces dépenses sont parfois difficiles à assumer pour les ménages calédoniens, et ce d’autant plus en cas d’épidémie puisqu’une même famille peut connaître plusieurs décès en même temps. En outre, les mécanismes traditionnels de solidarité au sein de la famille, des amis ou des tribus sont difficiles à maintenir en raison du confinement et de l’interdiction des regroupements de plus de dix personnes. Enfin, le délai très court imposé pour l’organisation des obsèques accroît la vulnérabilité des consommateurs et réduit les possibilités de mise en concurrence des opérateurs privés. Il en résulte que l’encadrement tarifaire des prestations de pompes funèbres en situation de crise sanitaire liée à la covid-19 répond à un objectif d’intérêt général de préservation du pouvoir d’achat des calédoniens.
Néanmoins, compte tenu des risques anticoncurrentiels inhérents à toute règlementation des prix, l’Autorité préconise que cet encadrement tarifaire soit limité dans le temps à la crise sanitaire et ne vise que les seules prestations strictement nécessaires à la prise en charge des décès liés à l’épidémie de la covid-19 (recommandation n° 3).
A cet égard, l’Autorité considère que les prestations incontournables pour les décès liés à l’épidémie de la covid-19 sont les suivantes : préparation du corps, fourniture de housses mortuaires, fourniture de cercueils, mise en bière, transport de corps après mise en bière, convoi funéraire, conservation du corps et inhumation ou crémation avec la fourniture des urnes.
En réponse à la demande du gouvernement, sur la base des factures des opérateurs funéraires privés et des tarifs publics des communes, l’Autorité a présenté les fourchettes de prix les plus bas les plus souvent constatés actuellement pour chacune de ces prestations.
Dans la mesure où certaines prestations incontournables dépendent du choix des familles, du lieu des obsèques et des tarifs fixés par les communes, l’Autorité recommande de limiter l’encadrement des prix des prestations funéraires aux seules prestations essentielles en période de Covid-19 fournies par les opérateurs funéraires privés à savoir : la préparation du corps, la fourniture de housses mortuaires et de cercueils, la mise en bière, le transport de corps après mise en bière et le convoi funéraire (recommandation n° 4).
S’agissant du niveau des prix susceptibles d’être fixé par le gouvernement, l’Autorité recommande de privilégier l’introduction d’un « bouclier funéraire » consistant à fixer un prix plafond en valeur absolue pour l’ensemble des prestations funéraires essentielles plutôt qu’un prix plafond pour chacune des prestations funéraires incontournables, en distinguant une formule « concession terre » et une formule « concession caveau », afin de tenir compte du choix des familles en cas d’inhumation ou de crémation. Il faut en effet rappeler que l’inhumation en caveau, qui nécessite un cercueil spécial, est beaucoup plus chère que l’inhumation en terre ou que la crémation.
En outre, dans la mesure où le volume de décès augmente très fortement de sorte que les opérateurs funéraires voient leur chiffre d’affaires augmenter mécaniquement de manière sensible, et compte tenu de l’objectif de préservation du pouvoir d’achat des ménages calédoniens, l’Autorité préconise de fixer le plafond maximal de chacune de ces formules sur la base des prix les plus bas les plus souvent constatés sur le territoire, et, en tout état de cause, à un niveau inférieur à la moyenne de ces prix (recommandation n° 5).
Ainsi, la formule « concession terre » pourrait être fixée dans une fourchette comprise entre 79 900 F.CFP et 150 778 F.CFP tandis que la formule « concession caveau » pourrait être fixée dans une fourchette comprise entre 349 700 FCFP et 428 039 FCFP.
L’Autorité rappelle que, pour apprécier le coût global des funérailles, il faut ajouter aux prestations essentielles fournies par les opérateurs privés et comprises dans ces deux formules, les prestations incontournables liées à la conservation du corps et aux frais d’inhumation et de crémation qui dépendent principalement des choix des familles et des tarifs fixés par les communes.
L’Autorité estime que, dans l’hypothèse où le gouvernement choisirait de fixer le prix plafond des formules « concession terre » et « concession caveau » sur la base des prix les plus bas les plus souvent constatés, le coût total minimal des funérailles liées aux décès dus à la covid-19 pourrait être réduit :
– de 5 à 39 % selon les communes, par rapport au niveau moyen actuellement constaté sur l’ensemble du territoire calédonien :
– de 13 à 52 % par rapport au coût global le plus élevé constaté dans chaque commune.
Par ailleurs, l’Autorité s’interroge sur l’efficacité du mécanisme prévu à l’article 11 du projet de délibération qui permet le remboursement de 50 % des « frais directement liés à la mise en œuvre des protocoles d’inhumation spécifiques pour lutter contre la propagation du virus Covid-19 », à la demande des familles. Etant donné le faible montant des frais considérés et le coût de gestion tant pour les familles que pour le gouvernement, l’Autorité recommande de le remplacer par un mécanisme de remboursement direct des opérateurs funéraires de leurs prix d’achat de ces produits sur la base de leurs factures et de leur interdire, en contrepartie, de les refacturer aux familles. Dans cette hypothèse, il conviendrait de soustraire le prix des housses mortuaires des formules « concession terre » et « concession caveau », dont le prix au consommateur serait plafonné (recommandation n° 6).
Enfin, l’Autorité a constaté une asymétrie d’informations voire des rentes informationnelles au détriment des familles en fonction du lieu de décès concernant, d’une part, les différents opérateurs funéraires susceptibles d’organiser les obsèques sur l’ensemble du territoire, d’autre part, en raison de l’absence de transparence tarifaire de la part des opérateurs privés et publics.
En conséquence, l’Autorité formule trois recommandations au gouvernement :
– élaborer une liste officielle énumérant les différents opérateurs de pompes funèbres du Grand Nouméa et de Brousse en précisant pour chacun d’eux : le nom du ou des gérants, leur adresse et leur numéro de téléphone ainsi que les coordonnées des sociétés appartenant au même gérant, afin de permettre aux familles de pouvoir faire jouer la concurrence. Cette liste serait affichée sur le site « prix.nc » ainsi que dans les centres hospitaliers et diffusées dans l’ensemble des mairies de Nouvelle-Calédonie (recommandation n° 7) ;
– imposer aux opérateurs funéraires d’établir et de transmettre aux consommateurs une documentation générale présentant l’ensemble de ses tarifs, modulables en fonction de critères objectifs, pour chacune des prestations funéraires qu’ils proposent. Cette documentation générale devrait être affichée dans les locaux accueillant du public ainsi que sur le site internet ou la page Facebook de chaque opérateur funéraire. Cette obligation devrait être assortie d’une sanction administrative dissuasive susceptible d’être infligée par les services du gouvernement à la suite d’un contrôle sur pièce ou sur place (recommandation n° 8) ;
– inviter toutes les communes de Nouvelle-Calédonie disposant d’un cimetière municipal à publier systématiquement, sur leur site internet et en mairie, les tarifs de concession ou de colombarium ainsi que les éventuels autres frais accessoires facturés par la commune (recommandation n° 9).