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Avis sur l'organisation de la filière fruits et légumes

Avis sur l'organisation de la filière fruits et légumes

En réponse à la saisine du gouvernement du 3 avril 2018, l’Autorité publie son avis sur l’organisation de la filière fruits et légumes en Nouvelle-Calédonie qui présente un état des lieux des dysfonctionnements concurrentiels et 10 recommandations pour renforcer la concurrence dans cette filière.  

En réponse à la demande d’avis du gouvernement formulée le 30 mars 2018 sur le fondement de l’article Lp. 462-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ci-après, l’ « Autorité ») considère que l’organisation de la filière fruits et légumes ne permet pas de garantir les conditions d’une véritable concurrence entre opérateurs et ne contribue pas efficacement à l’objectif de renforcement de l’autosuffisance alimentaire ni à la diversité de l’offre des produits. Elle ne permet pas non plus de limiter la volatilité des prix des fruits et légumes qui continuent de progresser chaque année au détriment des consommateurs. En conséquence, si l’arrivée de nouveaux entrants est possible, l’organisation actuelle de la filière est propre à dissuader d’éventuels candidats.

L’Autorité rappelle la situation difficile du secteur agricole calédonien, caractérisée par une baisse constante du nombre d’exploitations, un faible taux de couverture des besoins (18 % en 2017), des disparités importantes selon les filières et une augmentation globale des volumes d’importation. En ce qui concerne la filière fruits et légumes en particulier, l’Autorité pointe la moindre consommation des calédoniens par rapport aux réunionnais, polynésiens, néozélandais ou métropolitains, associée à une opinion globalement négative de la population à l’égard de la disponibilité, de la qualité et des prix des fruits et légumes produits localement. Elle relève également que la production traditionnelle non commercialisée (principalement en tribu ou dans les potagers des calédoniens) est au moins équivalente à la production marchande bien que mal renseignée. En baisse, la production marchande de fruits (45 % des besoins couverts) conduit à un recours croissant aux importations et à des prix en hausse. En progression, la production marchande de légumes reste commercialisée à des prix élevés et s’avère encore insuffisante pour couvrir l’ensemble des besoins (78 % des besoins couverts).

Sur le plan concurrentiel, l’offre sur les marchés amont de l’approvisionnement est caractérisée par de très fortes disparités entre les producteurs de fruits et légumes et par une très faible concentration de l’offre par rapport aux distributeurs malgré certains tentatives sous la forme de coopératives (GAPCE et COOP1). En pratique, moins d’une dizaine de producteurs réalisent plus de la moitié de la production marchande de fruits ou de légumes et peuvent, grâce à leurs volumes ou leurs infrastructures de stockage et de conditionnement, influer sur le marché, contrairement à la quasi-totalité des autres producteurs qui se trouvent en situation de dépendance économique par rapport à la demande sur les marchés aval. En effet, la concentration des grossistes sur les marchés de la distribution en gros et la domination du réseau des grandes et moyennes surfaces sur le marché de la distribution au détail dans le grand Nouméa (la demande) crée un déséquilibre des forces susceptibles de conduire à des pratiques anticoncurrentielles. La commercialisation directe par les producteurs de fruits et légumes en circuit court reste, pour sa part, très marginale que ce soit auprès des consommateurs qu’auprès des professionnels des secteurs agroalimentaire ou de la restauration. Enfin, l’absence de catégorisation des fruits et légumes et de valorisation des produits labellisés nuit à la montée en gamme des produits, à l’amélioration des revenus des producteurs et au bien-être des consommateurs. L’échec de l’interprofession fruits et légumes (IFEL) en 2016 pour réorganiser la filière sur ces différents aspects est particulièrement dommageable.

En conséquence, les prix de vente aux consommateurs des fruits et légumes sont très volatiles et s’avèrent en augmentation constante depuis 2010 (+ 43,9 % pour les fruits et + 14,3 % pour les légumes) malgré un encadrement règlementaire très contraignant. D’une part, le système de protection de la production locale par le contingentement des importations, qui limite par définition la concurrence, ne semble pas efficace pour lutter contre la dégradation du taux de couverture dans la filière fruit et conduit à des prix élevés, voire à des situations de pénuries des fruits et des légumes, en favorisant la collusion entre les principaux producteurs et grossistes compte tenu des échanges d’informations qu’il implique. D’autre part, la régulation des prix au stade de la distribution en gros et au détail n’a pas permis de lutter contre la volatilité ni l’augmentation des prix des fruits et légumes faute de porter également sur les prix pratiqués par les producteurs locaux.

Pour surmonter ces dysfonctionnements concurrentiels, l’Autorité formule les dix recommandations ci-après.

 

10 Recommandations

POUR UNE MEILLEURE REGULATION DES VOLUMES, DES PRIX ET DE LA QUALITE DES PRODUITS

Réviser le champ, le calendrier et la procédure d’attribution des quotas à l’importation en raison de leur caractère anticoncurrentiel

Recommandation n° 1 : Réévaluer chacune des protections quantitatives accordées sur les fruits et légumes dans le programme annuel d’importation au regard de sa contribution au progrès économique, et, le cas échéant, supprimer progressivement celles qui ne seraient plus justifiées.

Recommandation n° 2 : Confier à l’Agence rurale le soin d’établir une programmation annuelle de la production locale tenant compte de la saisonnalité des fruits et légumes lui permettant de fixer, à l’avance, une période de levée totale des quotas durant la saison pendant laquelle la production locale de légumes est à son minimum afin de lutter contre le risque de pénurie et d’envolée des prix.

Recommandation n° 3 : Instaurer une procédure d’ouverture et d’attribution de quotas à la fois transparente et non collusive au sein de l’Agence rurale en veillant à :

 fixer des critères de représentativité des producteurs locaux d’une part et des professionnels en aval d’autre part au sein du comité en charge de la programmation des importations, qui devrait être animé par un médiateur (tel le spécialiste de la régulation nommé au conseil d’administration) ;

– adopter une délibération imposant aux producteurs locaux et aux grossistes importateurs une obligation de transmission des déclarations de production exigées par l’Agence rurale pour pouvoir exercer correctement sa mission de régulation des quotas d’importation ;

– établir un programme de contrôles inopinés mais réguliers dans les champs ou dans les infrastructures de stockage des agriculteurs pour vérifier l’exactitude des déclarations et réfléchir à une procédure de sanction de type « name and shame » en cas d’inexactitude pour être efficace sans pénaliser financièrement les agriculteurs ;

– assurer une étanchéité parfaite, au sein de l’Agence rurale, entre les informations sensibles transmises par les producteurs (sur leurs volumes de production) et les grossistes (sur les importations) en confiant au médiateur la mission d’en assurer la confidentialité et le traitement anonymisé et agrégé avant toute communication aux professionnels ;

– imposer à la direction des douanes la transmission mensuelle à l’Agence rurale d’un état récapitulatif des quotas demandés, attribués et utilisés par chaque grossiste-importateur pour chaque position douanière de fruit et légume, lui permettant de contrôler la fiabilité des déclarations des grossistes et l’effectivité des décisions d’attribution de quotas ;

– établir une grille de notation des grossistes au regard des quotas consommés par rapport à ceux attribués l’année n-1 (ou le mois précédent) pour attribuer les quotas en année n (ou le mois suivant) lorsque la demande est supérieure aux besoins ;

– réserver une partie des quotas à de nouveaux entrants pour favoriser l’importation directe de fruits et légumes par tout professionnel du secteur agro-alimentaire (transformateurs, restaurateurs).

Adapter la règlementation des prix et des marges des fruits et légumes locaux en fonction des choix en matière de protection de marché

Recommandation n° 4 : Pour les fruits et légumes non soumis à protection de marché, rétablir la liberté des prix à tous les stades de la commercialisation pour renforcer la concurrence et prévoir la conclusion annuelle d’un accord interprofessionnel de modération des marges des distributeurs en cas de crise conjoncturelle afin de protéger les agriculteurs locaux. 

Recommandation n° 5 : Pour les fruits et légumes soumis à protection de marché, renforcer et moderniser le mécanisme de contrôle des prix et des marges sur les produits locaux à travers :

– une régulation dès le stade de la première mise en marché (prix « sortie du champ »), ce qui suppose de connaître les coûts de revient des producteurs calédoniens ; à défaut, introduire une autre méthode de détermination d’un prix de cession « sortie du champ » fondée par exemple sur la moyenne des prix constatés lors des périodes correspondantes des cinq dernières campagnes, à l’exclusion des deux périodes au cours desquelles les prix ont été respectivement le plus bas et le plus élevé.

– pour ce faire, mettre en place un observatoire des coûts de production et des marges dans le secteur agricole sous l’égide de l’Agence rurale et conditionner le versement de certaines aides à la mise en place d’une comptabilité analytique et à la transmission des informations comptables par les producteurs concernés ;

– actualiser également les taux de marges maximum ou des niveaux de marges en valeur utilisés dans le cadre de la règlementation des prix, compte tenu de la réalité du marché.

Encourager la montée en gamme des fruits et légumes pour en améliorer la qualité 

Recommandation n° 6 : Promouvoir une stratégie de catégorisation de fruits et légumes et de valorisation des productions labélisées (« Agriculture Responsable », « Agriculture Intégrée », « Biopasifika ») à travers :

– l’inscription de cette stratégie dans la convention d’objectifs et de moyens de l’Agence Rurale, qui serait mise en œuvre en concertation avec les provinces, les organisations professionnelles agricoles, la CANC, les organismes certificateurs, les transformateurs et la grande distribution ;

– l’accompagnement à la création d’organisations de producteurs ou d’organisations interprofessionnelles en charge de la catégorisation des fruits et légumes ou de leur labélisation ;

– l’obligation pour les surfaces commerciales de plus de 350 m² de présenter les fruits et légumes labelisés de manière distincte des autres lorsqu’ils sont effectivement disponibles.

POUR STRUCTURER LA FILIERE DANS UN SENS PLUS FAVORABLE AUX PRODUCTEURS

Recommandation n° 7 : Susciter des initiatives de regroupement de l’offre des producteurs au sein d’organisation de producteurs de commercialisation ou de gouvernance à travers une différenciation des subventions directes versées aux agriculteurs selon qu’ils sont volontaires ou non volontaires. 

Recommandation n° 8 : Promouvoir dans un premier temps la constitution d’organisations interprofessionnelles courtes (production, collecte, transformation), éventuellement par zone géographique ou par filière (fruits / légumes) pour renouer le dialogue entre les acteurs et parvenir, dans un second temps, à rétablir une organisation interprofessionnelle longue regroupant l’ensemble des acteurs de la filière fruits et légumes.

POUR UNE FORMALISATION DES RELATIONS CONTRACTUELLES ET LE DEVELOPPEMENT DES CIRCUITS COURTS 

Recommandation n° 9 :  Avertir l’ensemble des producteurs et distributeurs de la filière fruits et légumes de l’obligation de contractualiser leurs rapports commerciaux dans les meilleurs délais, et au plus tard d’ici le 31 mars 2019, sous peine d’une amende de 8,5 millions F.CFP en vertu de l’article Lp. 441-9 du code de commerce, à moins de mettre en place un dispositif particulier d’encadrement des relations contractuelles dans ce secteur.

Recommandation n° 10 : Faciliter l’accès direct des producteurs aux marchés à travers :

– l’instauration d’une plateforme électronique de mise en relation des producteurs et des grossistes, administrée par l’Agence rurale, pour organiser l’acte de vente et faciliter l’établissement et la diffusion de mercuriales ;

– la diffusion d’une campagne de communication régulière en faveur de la vente directe aux consommateurs ;

– et le développement des partenariats entre les producteurs ou leurs groupements et le secteur agroalimentaire pour abaisser les coûts et lutter contre les gaspillages de la production agricole.

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